LES ALLEMANDS A VIELS-MAISONS, SEPTEMBRE 1914


Cet intéressant texte, a été publié par l'association "Si Chézy m'était Conté...". Merci à l'association qui nous a autorisé à reproduire ce texte.


" Faites donc pour les Annales, le récit de l’invasion allemande à Viels-Maisons " me dit l’autre jour le bon curé de Verdelot. Et sans me laisser le temps de répondre, il reprit : " Entendu… je compte sur votre article qui cherche trouve". Il ne doute de rien l’abbé Duvet ! Il vous met le couteau sous la gorge et allez-y !


Tout de même, si ce récit lui faisait plaisir ? … On pourrait essayer … Mais, voilà le chiendent ! Comment raconter ce que je n’ai pas vu ? Je suis arrivé à Viels-Maisons qu’à la fin d’octobre 1914. Si j’y suis encore, c’est malgré moi et pas du tout pour mon plaisir. Oh non alors ! Sans doute, le pays est charmant, les gens y sont très sympathiques, mais vous avez beau dire, cela ne vaut pas les plaines du Saint-Quentinois, le franc parler des Picards, le pays de chez nous. Bref, je me suis mis en quête. J’ai interrogé quelques habitants, témoins de l’arrivée des armées ennemies et voici, en deux mots, ce qui s’est passé à Viels-Maisons pendant ces jours inoubliable. Ce sera un page de plus à ajouter aux Mémoires d’émigration.

Mercredi 2 septembre

Les allemands sont à Château-Thierry. Cette nouvelle jette l’effroi parmi la population.

On a tellement vu, depuis plusieurs semaines, descendre de lamentables cortèges d’émigrés, pauvres gens chassés de chez eux par le feu et la mitraille, fuyant comme des oiseaux effarouchés cette soldatesque "teutonne", réputée pour son mépris de l’honneur, de la justice et de la pitié, que les habitants ont vite pris une résolution :

" Puisqu’ils viennent les Boches ! Sauvons-nous ! ".

Et les voilà partis, comme les autres, sans savoir où ils vont. Et ils marchent toujours, toujours. D’ailleurs il serait imprudent de s’arrêter en route. Les barbares ne font pas moins de quarante kilomètres par jour.

Oh ! Cette guerre ! cette horrible chose qui arrache à leur foyer des hommes dispensés par leur âge de porter les armes, des femmes et des enfants paisibles, des vieux que la vie a usés…

A 4 heures de l’après-midi, Viels-Maisons est désert. Si l’on n’entendait que le canon, au loin, dans la direction de Chézy, on serait tenté de se demander : quel est donc le fléau qui c’est abattu sur ce village d’ordinaire si vivant ?

Fermés, les magasins, les cafés, les hôtels. Bouclées les portes des habitations. Sur la place, c’est un silence de mort, à peine troublé par le gazouillis de l’eau qui tombe, indifférente aux événements, dans le bassin de la fontaine publique.

Un cycliste descend la route de Nogent, à une allure vertigineuse et prend la direction de Verdelot. Il porte sûrement un ordre aux troupes concentrées dans cette région. N’est-ce pas là qu’hier, se dirigeaient nos braves soldats, obligés de se replier ? Fantassins, cavaliers, artilleurs étaient passés en grand nombre, poussiéreux et harassés, mais chantant quand même, et prêts, au premier signal, à bondir sur l’envahisseur. Qui sait ? Peut-être allons nous prendre nos positions et dire aux Boches : halte là ! Peut-être le village ne sera-t-il pas envahi !

Hélas, cet espoir ne devait pas être de longue durée.

Jeudi 3 septembre

La population a fui. Tout au plus, compterait-on dans le village une quinzaine d’hommes et quelques femmes. Parmi ces habitants, résignés à affronter le contact des barbares se trouvent messieurs Wargnier, notaire, conseiller municipal et sa sœur, Ravel ancien maire et sa famille, Reignanrd, le mécanicien, Hervillard, le bourrelier, Delettain, Profit, Leroy père et fils, Dupuis, Vallon, etc…

Enfermés dans leurs maisons, ces gens se demandent avec une anxiété bien compréhensible ce qui va se passer.

Le canon tonne au loin.

Vers le soir, les régiments de cavalerie française traversent Viels-Maisons. Quelques détachements font une courte halte. Pendant que les chevaux soufflent, les hommes fourbus, suffoquant de chaleur, sont heureux de se reposer un peu. Ils en profitent pour réparer leurs forces et les voilà, mordant à belles dents dans les miches de pain qu'ils dont tirées de leurs musettes et sur lesquelles ils ont étendu rapidement le contenu de leur " boite de singe ".

Vendredi 4 septembre

Depuis une heure du matin, un grand combat se livre aux environs. Le bruit du canon devient de plus en plus intense. Par un splendide clair de lune, on voit défiler des centaines de fourgons, caissons, véhicules de toutes sortes et par ci par là des canons. Tout cela roule avec un bruit de ferraille assourdissant. Décidément, les nôtres battent en retraite. Comme cette nuit semble triste et angoissante !

Vers six heures, un calme relatif renaît. Il ne durera pas longtemps.

A peine le soleil commence-t-il à darder ses chauds rayons sur le village désert, qu’une fusillade nourrie éclate aux alentours ; on entend le ‘‘tacata’’ des mitrailleuses, et le canon recommence à tonner. L’armée allemande avance d’une façon menaçante. Elle forme une ligne compacte qui va, des Savarts à la Malmaison, en suivant la lisière de la Grande Forêt. Cela, représente un front d’environ cinq à six kilomètres d’étendue.

Un instant, nos troupes ayant pris position à la Couarde, à Toraille, à Monthubert, cherchent à ralentir l’avance de l’ennemi. Nos 75 établis près de Vailery tirent régulièrement, par séries de quatre coups. Mais les Boches ont bientôt repéré nos batteries et font des efforts désespérés pour maintenir ces maudites pièces qui causent sans doute, d’effrayants ravages dans leurs rangs. Alors, c’est une avalanche de projectiles au dessus de Viels-Maisons. Les obus se croisent et déchirent l’air de leur sifflement strident. Au loin, les shrapnells éclatent sans discontinuer, tandis que des flocons de fumée blanche, grise ou jaune s’élèvent dans le ciel, par centaines.

Et dans les champs, la bataille fait rage. La fusillade crépite. De temps en temps, des balles viennent se perdre et s’abattre, d’un coup sec, sur les toits des maisons. Les mitrailleuses crachent la mort. Pauvre jeunesse de France!

Mais que signifient ces nuages de fumée noire, là bas au nord. D’abord simples tourbillons, ils montent, redescendent et s’étendent... On appris plus tard que c’étaient les fermes des Vinots et de la Caterie qui brûlaient. Seulement, pour expliquer ces sinistres, il y a divergence d’opinions.

Les uns disent : les obus en furent la cause. Les autres affirment : ce sont les Allemands qui brûlèrent volontairement ces fermes pour dissimuler leurs batteries de 77. Du reste, M Leroy père, qui était monté dans une de ces fermes pour garder le bétail, en l’absence des fermiers émigrés, n’a-t-il pas vu des soldats allemands rôder autour des bâtiments, avec des récipients sur leur dos? Après avoir copieusement arrosé les granges de pétrole, ils y auront jeté quelques grenades incendiaires, et l'œuvre de destruction s’accomplit. Mais qui le dira, au juste? Ne racontera-t-on pas plus tard, qu’à L’Epine au Bois, les Barbares incendièrent ainsi une grange, après y avoir entassé tous leurs morts? Façon discrète, mais combien horrible de cacher leurs pertes.

Vers 11 heures, la bataille diminue d’intensité. Hélas ! Tout est consommé. Une patrouille de casques à pointes descend la route de Nogent et passe, sans bruit, dans le village.

Viels-Maisons est envahi.

Cette patrouille ennemie est à peine disparue, qu’apparaît un cycliste français. D’où vient-il ? Est-il perdu ? S’en va-t-il en reconnaissance ? Mystère. En tout cas, il pédale avec ardeur et se dirige vers le quartier neuf.

Apercevant plusieurs femmes apeurées, réunies dans une maison, le cycliste s’arrête et demande l’autorisation de se reposer un peu ? Harassé, poussiéreux, baigné de sueur, il n’en peut plus ; une halte de quelques secondes lui fera du bien. Mme Mary, la femme du garde-champêtre, acquiesça volontiers à sa demande et le fit entrer.

- " Mesdames, dit celui-ci en s’asseyant, ayez l’obligeance de me prévenir quand vous verrez passer un cycliste comme moi ; c’est un camarade. Appelez-le ".

On causa de choses et d’autres, surtout de la situation où l’on se trouvait. Soudain, un cycliste passa à toute vitesse. Les femmes en informèrent leur hôte, qui se précipita dans la rue, en appelant son camarade. Voyant le peu de succès de ses appels réitérés, il enfourcha sa bécane, afin de le rejoindre. Au même moment, coup de théâtre.

Une automobile descend la route de Montmirail. Le premier cycliste devine un danger. Un petit sentier s’offre à lui, à gauche, près du lavoir. Il s’y engage à toute vitesse. Cela s’est fait si instantanément que le second cycliste pédalant toujours, se demande où peut bien être passé son camarade.

Et il file droit devant lui, et le voilà, côtoyant l’auto. Moment tragique, s’il s’en fût ! C’est une automobile allemande bondée d’officiers ! Notre cycliste veut redoubler sa vitesse, mais en vain ! La route monte, monte encore. Dans l’auto qui descend, des officiers se sont levés. Plusieurs coups de feu retentissent. Le cycliste continue sa course pendant quelques centaines de mètres, puis soudain, s’affaisse pour ne plus se relever. Pauvre jeune homme ! Il est enterré, aujourd’hui, dans un champ, situé sur le côté gauche de la route, en allant vers Montmirail.

Pendant ce temps, Mme Mary était sortie sur le pas de sa porte, pour voir ce qui se passait. Mal lui en prit, car, tout à coup, une balle lui traversa la main droite, et une autre lui pénétra dans l’épaule gauche.

A midi, les habitants demeurés au pays se hâtent de prendre leur repas. L’avenir est incertain. Ce silence, succédant au vacarme de la bataille, ne leur dit rien qui vaille. Vont-ils connaître les atrocités, les excès d’horreur dont les Boches se sont rendus coupables ailleurs ?

A la grâce de Dieu !

Mais, en achevant leur déjeuner, ils ne peuvent s’empêcher de dire " En voilà encore un que les Prussiens n’auront pas ! "

Vers une heure, la route résonne sous le talon des bottes. C’est l’arrivée des troupes allemandes. En un clin d'œil, le village est occupé militairement.

Alors commence le pillage. Les casques à pointes pénètrent dans les maisons. Là où les portes sont fermées, ils les enfoncent à coups de hache. Ils ouvrent les meubles, renversent les tiroirs.

Tout ce qui peut se mettre en poche, montres, bijoux, argenterie, est enlevé. Le reste est déchiré, brisé, souillé, puis jeté en tas, comme ordure et chiffons, au milieu des chambres. Le linge traîne pêle-mêle parmi les papiers. Les Boches ont changé de chemise, abandonnant, pour la plupart, des chemises de femmes, garnies de locataires.

Cela fait, leur seconde opération fut de réquisitionner des vivres. Les soldats du kaiser avaient bien l’air de crever de faim. Aussi firent-ils main basse sur tous les aliments, sans oublier de visiter les caves. Le soir, ce fut l’orgie...

Les pillards avaient trouvé, çà et là, des uniformes de gymnastes, des clairons et des tambours. Cela devenait grave. Plusieurs uniformes furent apportés à la mairie, où des officiers les examinèrent soigneusement. Après avoir discuté avec animation, les chefs prussiens descendirent dans la rue, et l’un d’eux, apostrophant un habitant qui passait, lui demanda en bon français :

- " Où se trouve le pasteur, le curé? "

- " Parti! Lui fut-il répondu "

- " Ah ! Parti!... reprit l’autre ; il a de la chance... ya, de la chance. Je le sais il est président d’une société de préparation militaire. "

- " Capout ! Acheva un gros Bavarois, en accompagnant ce mot d’un geste significatif.

M. l’abbé Dessigny, curé doyen de Viels-Maisons, avait suivi, en effet, ses paroissiens qui fuyaient devant les hordes du nouvel Attila. Heureuse inspiration ! Les Allemands, furieux d’apprendre l’existence d’une société de gymnastique, ou comme ils le disaient, d’une société de préparation militaire, voulaient en tirer vengeance sur le curé. Celui-ci eût été sûr de son affaire : emmené en captivité, sinon fusillé.

M. l’abbé Dessigny préféra vivre. Il eut raison. Au moins, ses paroissiens ne sont pas privés, aujourd’hui, de leur pasteur. La guerre fauche déjà assez de prêtes mobilisés, sans que ceux-ci s’exposent à être fusillés, sans aucun but, par une poignée de Boches stupides.

Bientôt, des brancardiers amènent de pauvres corps ensanglantés. Il s’agit d’établir une ambulance. Des officiers se présentent chez M. Wargnier, notaire :

- " Faites voir appartements ", disent-ils. Et après la visite des lieux :

- " Trop petits. Pourtant, ici, préparez cinq lits pour coucher officiers, ce soir, et amener malade ".

En attendant, les brancardiers déposent provisoirement leurs blessés chez M. Picherot, Mme Cherrier et M. Vadarh dont les maisons étaient inhabitées.

Les officiers en questions ne tardèrent pas à se présenter chez le notaire. C’étaient des majors très corrects et parlant assez bien le français. Ils amenèrent un blessé, quelque grosse légume, sans doute, car ils furent aux petits soins pour lui et défendirent de pénétrer dans sa chambre, disons-le, en passant, ce fut grâce aux sages avis et aux décisions énergiques de M. Wargnier, que le village n’eut pas plus de calamités à enregistrer. Aujourd’hui, chacun regrette cet homme de bien, toujours serviable, dont la mort, survenue l’an dernier, fut une grande perte pour la commune.

Les majors décidèrent d’installer une ambulance dans l’église, et une autre, dans la vaste maison de M. Revel. Déjà, des coups de hache retentissent. Ce sont des Boches qui cherchent à enfoncer la porte de l’église.

- " Arrêtez, leur crie M. Wargnier. Inutile d’enfoncer. Le sonneur a les clefs. Il va vous ouvrir.

Un quart d’heure après, les Boches installaient leurs blessés dans l'église, avec une dizaine de prisonniers français. Leur premier soin fut de hisser le drapeau de la Croix-Rouge sur le clocher. Chose incroyable ! Ils n’emportèrent rien, ne touchèrent, à rien. Se contentant d’occuper la nef, ils ne pénétrèrent même pas dans le sanctuaire.

Mme Mary fut la première personne soignée à l’ambulance établie chez M. Revel. On vient de lire dans quelle circonstance cette brave femme fut blessée. Comme consolation, le major allemand lui dit

- " C’est une balle perdue qui vous a atteinte. Oh ! Ce n’est rien, pas grave ! ".

C’était si peu grave que Mme Mary est restée infirme depuis ce jour.

Samedi 5 septembre

La bataille de Montmirail bat son plein. Tout le jour, c’est un défilé de troupes allemandes se dirigeant sur Montdauphin. On voit passer des cuisines roulantes, des trains de pontonniers avec leurs équipages, des canons de tous calibres. Les fantassins ont l’air très fatigués. Des régiments s’arrêtent, en traversant Viels-Maisons, et les soldats en profitent pour s’asseoir sur les trottoirs. Sans doute, parlent-ils de leurs victoires? Ils sont les maîtres partout. Le mot de Paris revient souvent sur leurs lèvres. Voient-ils un habitant aller et venir dans sa cour ou dans sa maison ? Vite, ils l’assiègent et lui demandent pain, vin et tabac. Puis, un commandement retentit, et ils repartent, tandis qu’une fanfare, soutenue de tambours et de fifres, joue un air national. D’autres régiments passent en chantant, et toujours les fifres les accompagnent.

Mais quel tableau. Chaque soldat porte le produit de son larcin. L’un, une poule, l’autre un canard, celui-ci un lapin, celui-là des pigeons. Et dans les rues, on voit partout des têtes de volailles, des bouteilles vides, des tas de linge sale. Cependant, le pillage continue d’une façon méthodique, contraire ment aux Conventions de La Hayes, signées par l’Allemagne elle même :

" Il est interdit de livrer au pillage une ville ou une localité même prise d’assaut. (Art.28). L’honneur et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété privée... doivent être respectés. " (Art.46). Mais qu’importent ces conventions !

Pour l’Allemagne, c’est un chiffon de papier.

Il est à croire que ses soldats apprennent le Manuel du cambrioleur. Et ses officiers sont aussi coupables !

Ce sont eux qui distribuent le butin, tout en se réservant la meilleure part. Telle est la culture allemande! Si vous voulez des exemples, en voici : sur les magasins de M. Galice, négociant en vins, un écrit fut apposé, dès la première heure, pour défendre aux simples soldats d’entrer.

Mais, ce matin, des automobiles arrivent. Des officiers, en descendent, et, pénétrant dans les magasins, choisissent les vins fins et les liqueurs. Au fur et à mesure, les bouteilles sont entassées dans les autos. Dès lors, les simples soldats auront toute liberté de piller le reste, à leur tour. Ils ne s’en priveront pas, je vous l’assure. Ils iront jusqu’à boire à même les tonneaux, et quand ils seront gorgés, ils s’en iront ivres morts, tandis que, dans les caves, le vin coulera toujours.

Chez M. Ramier, des soldats, sous la surveillance d’un officier, firent la chaîne de la cave à l’automobile en se passant les bouteilles par le soupirail. Toutes les caves des cafés, des hôtels et des maisons particulières furent ainsi visitées et soulagées de leurs provisions. A l’hôtel Moussé, les Boches firent, chaque soir, des noces à tout casser… même les glaces de 1’établissement. Les pillards ne se contentèrent pas de prendre ce dont ils avaient besoin pour leur alimentation et celle de leurs chevaux.

Des camions, toujours sous la haute surveillance d’officiers prussiens, emportèrent à profusion de la literie, des fauteuils, des meubles anciens, des pendules, selon le goût de ces Messieurs. Que d’objets d’art et de pendules étaient préparés et devaient prendre le chemin de l’Allemagne, si le temps l’eût permis!

Quelquefois, la présence de l’habitant n’empêchait pas le pillage. La famille Revel en sait quelque chose. Elle dû assister, impuissante, à l’enlèvement de sa cave, de son linge, et d’autres objets..

Le château, propriété de M .le baron de Ladoucette – la Providence du pays – fut le témoin d’orgies sans nom. La demeure, en complète reconstruction, ne pouvait guère servir d’asile aux Boches.

Ils parvinrent cependant à trouver la cave qui, paraît-il, est introuvable. Dédaignant le vin ordinaire, ils firent main basse sur les vins fins et le champagne, et s’en allèrent festoyer dans la partie des communs encore debout.

Ils pénétrèrent dans les remises où se trouvait rangé le mobilier, sortirent les meubles, en brisèrent plusieurs et emmenèrent les coupés et voiture de maître, la sellerie fut mise à sac. Tous les harnais disparurent. Un officier s’adjugea les plus beaux. En montrant les écussons en relief sur les harnais, il dit à un habitant, avec un gros rire bête :

" Ya, ya., moi aussi serai baron ".

Chaque nuit, il y avait illumination dans la cour du château. Les Boches y avaient installé le grand lustre du salon, sur lequel ils brûlaient des bougies, volées un peu partout.

On sait que M. le baron Robert de Ladoucette, lieutenant de cuirassiers, est aujourd’hui prisonnier en Allemagne. Il endure courageusement les privations et les souffrances d’un camp de représailles, en attendant le jour où il lui sera de nouveau permis de se dévouer aux intérêts de son pays.

En général, les pillards procédaient ainsi. Ils s’en allaient deux par deux. L’un portait le sac, et l’autre, le fusil. Dans les maisons inhabitées, ils opéraient à loisir. Lorsqu’ils tombaient dans une maison occupée, ils se contentaient de demander du pain ou du tabac.

Plusieurs hommes présents furent réquisitionnés pour soigner les blessés. Ils s’en acquittèrent avec beaucoup de dévouement et de courage. L’uns d’eux, revenant faire un tour chez lui, trouve sa maison dans un désordre inexprimable. Il aperçoit dans un coin un officier prussien :

- " Beau travail ", lui dit-il ;

- " Fallait rester chez vous " ;

- " Piller, c’est le droit de la guerre ", répond le Boche ;

- "Mais, je soigne vos blessés; je ne peux pourtant pas être ici et à l’ambulance, tout à la fois! " ;

- "Fallait rester chez vous ", répète l’autre en s’esquivant.

Le soir, des fantassins logent partout. D’après l’inscription retrouvée au pensionnat dirigé par Mme Ginisty, ce devait être le 24ème régiment d’infanterie, appartenant au 3ème corps d’armée, commandé par le général von Sanner, qui logea au château de la Roche, à Verdelot.

Dimanche 6 septembre

Tout est calme. Une cinquantaine d’Allemands circulent dans le village. Il faut dire qui la plupart des habitants n’osent pas se coucher. Ils ont raison. Avec des sauvages, on ne prend jamais trop de précautions.

Ainsi, l’autre soir, un Bavarois poursuivait une vieille femme. Celle-ci, encore agile, se réfugia chez le sonneur. Le Boche s’en doute. Il y entre aussi. Tenant d’une main sa lanterne, de l’autre il met son revolver sous le menton du sonneur, et l’interpelle:

- " Toi, dire où est femme! dire, ya, ya, femme ".

Le sonneur fait l’étonné et ne répond pas. Mais, comme il se retient pour ne pas tomber, à bras raccourcis, sur cet être ignoble ! Le Bavarois, furieux, fouille la maison, de la cave au grenier, puis finit par s’en aller, en maugréant La pauvre femme avait eu, heureusement, le temps de fuir et de se cacher chez une voisine.

Mais, voici deux habitants, conduits par des soldats baïonnettes au canon. Où vont-ils? Les pauvres, ils ne le savent pas! J’imagine que leur émotion est intense.

Enfin, en pénétrant dans une pâture, ils comprennent ce qu’on leur veut. Il s’agit d’attraper et de ramener deux jeunes veaux. C’est facile. Et le cortège se remet en marche. Nos hommes, en passant, voient plusieurs Boches occupés à faire bombance, chez M. Royer, menuisier. L’un de ces casques à pointes absorbe, à la suite trois grands verres. C’est donc cela, la culture germanique ! Les veaux sont amenés sur la place, où un boucher leur coupe la tête qu’il offre aux deux Français. Ceux-ci refusent ; le Boche, en ricanant, leur tend une pièce de dix centimes.

Ecoutez ce fait qui en dit long sur l’espionnage d’avant guerre :

M. Vallon rentrait chez lui, lorsqu’il s’entend crier :

-" Tiens bonjour M. Vallon! ". Notre concitoyen se retourne et voit passer un officier. Stupéfait, ahuri, il n’en croit pas ses yeux. Cet officier ? Mais il ne l’a jamais vu ! C’est un marchand de toile, qui séjourna à Viels-Maisons, trois mois à peine avant la mobilisation. Pour sur, il connaissait les chemins et les maisons, celui là !

Parmi les habitants les plus maltraités, on cite M. Lenfant, facteur retraité, décédé, depuis cette époque, chez sa fille. Deux pillards entrent chez lui et demandent du vin. Le brave homme n’en a pas. Comment pourrait-il en donner ? Les Boches se fâchent et le frappent, à coups redoublés. Puis, leur colère s’apaisant, ils visitent les armoires, fouillent la maison et s’en vont avec quelques œufs, du lard et du beurre.

-" Nous, bien gentils " disent les pillards. Et, déposant quelques pièces d’argent sur la table, ils sortent. M. Lenfant se croit dédommagé de cette visite un peu sans gêne. Il compte la somme déposée par les Boches. O déception ! Total soixante centimes.Lundi 7 septembre

Le canon tonne et la fusillade se fait entendre dans la direction de Montdauphin. Qu’est-ce que cela dire? Les Allemands paraissent très énervés. Un convoi interminable de camions chargés de meubles, de sacs de grains et de mille autres objets, traverse le village et remonte vers le nord. C’est le produit du pillage.

Des officiers vont et viennent, donnant des ordres aux différentes patrouilles. On dirait que des blessés se préparent dans les ambulances.

C’était vrai, et voici, à ce propos, ce que raconte un soldat du 17ème chasseurs à cheval :

" Blessé le 4 septembre, alors que son régiment était en position de combat derrière le parc du château, il fut d’abord transporté dan une maison de Verdelot, où il passa la nuit. Dès le matin, les Boches le ramenèrent à Viels-Maisons, pour le soigner à l’ambulance installée chez M. Revel. Grâce aux bons soins du major, sa blessure s’améliora vite.

Le lundi 7 septembre, devinant que les blessés allaient être emmenés ailleurs, et plus tard, faits prisonniers, notre chasseur résolut de s’enfuir. Mais comment faire ! Le major, les infirmières ont bien l’air préoccupés et moins vigilants que de coutume. Seulement, il n’a pas d’habits. (Les Allemands avaient eu soin de ne laisser aucun vêtement autour des lits des blessés, afin d’éviter toute tentative d’évasion).

Qu’importe ! Il parvient à se cacher, en chemise et en caleçon, dans une dépendance de la maison. Par bonheur, il trouva là des vêtements. Voici des souliers, une capote de chasseurs, justement la sienne, mais, un pantalon ? Il n’y en a donc pas!... Ah voici!...

Horreur! Il croit en saisir un, c’est un Boche, tout habillé, étendu là, raide mort. L’impression est plutôt désagréable. Enfin, notre chasseur, en capote et en caleçon, parvient à gagner la rue. Il monte dans le village et aperçoit, au coin, un magasin de nouveautés. Quelle chances !

Il y entre, c’est un désordre général. Après bien des recherches, il trouve un pantalon. Dès lors, convenablement vêtu, il attend les événements.

Ceux-ci se précipitent.

Deux dragons français entrent dans Viels-Maisons, par la rue des Barres. Un vieillard les rencontre:

-" Malheureux, leur crie-t-il, où allez-vous ? Le pays est plein de Boches". A ces mots, surgit un infirmier allemand qui braque son revolver sur le pauvre vieux.

Mais, un dragon a vu le geste, et tue l’infirmier à bout portant. Sur ces entrefaites, le chasseur à cheval sort de sa cachette et prévient les deux dragons de la présence des ennemis.

- " Oh ! Cette fois nous les tenons ", répondent ceux-ci, et, faisant demi-tour, ils sortent du village, au galop.

Un quart d’heure plus tard, les pantalons rouges entraient dans Viels-Maisons. Des cuirassiers se présentèrent à l’ambulance, chez M. Revel.

- "Monsieur le Major, dirent-ils, nous avons l’honneur de vous faire prisonniers ".

Il parait que le major pleura de rage.

La première préoccupation fut d’enterrer les morts. Six soldats français reposent dans le cimetière communal, non loin de cinq soldats allemands. Plusieurs autres sont enterrés dans la plaine.

Chez Mme veuve Bourgeois on trouva un cuirassier français du 3ème régiment, décédé depuis plusieurs jours. Son corps n’étant plus transportable, un capitaine ordonna de l’inhumer, a quelque pas de là, dans le parc du château. Disons que les habitants font un devoir patriotique d’entretenir les tombes de nos chers soldats et d’y déposer, régulièrement, de belles fleurs, sans oublier d’y ajouter quelques ferventes prières.

Le lundi soir, le général Franchet d’Espérey, soupait, avec son état-major, chez M. Wargnier.

Toutes les forces adverses qu’il avait en face de lui étaient en pleine retraite et commençait à repasser la Marne en désordre.

Encore quelques combats, et le 12 septembre, la bataille de la Marne sera gagnée.

Soixante à quatre-vingts kilomètres de territoire français seront nettoyés de tout envahisseurs.

Ce sera la victoire, la grande victoire, en attendant celle plus grande encore qui se prépare.

L. REINHARD,

Curé de Montbrehain

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